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Textes

Motifs péruviens pour la consommation

Considérée comme le symbole de l’abondance pour tous, par certains, et comme celui du gaspillage de ressources au détriment des plus défavorisés, par d’autres, la société de consommation est constituée, selon Baudrillard, « par la multiplication des objets, des services, des biens matériels et (…) constitue une sorte de mutation fondamentale dans l’écologie de l’espèce humaine. » (Jean Baudrillard, La société de consommation, p. 17). Les Campbell’s Soup Cans de 1962 de Warhol illustrent parfaitement cette idée d’abondance et d’accumulation instaurées par la production de masse. Au Pérou, la société de consommation s’installe, produit ses propres enseignes et icônes culturelles et adopte des structures propres aux pays en voie de développement (commerces ambulatoires, petits commerces, bazars, marchés d’artisanat) en plus de celles caractéristiques des pays industrialisés (grandes surfaces, magasins de luxe, etc.), tout ceci exalté par la présence colorée d’affiches qui ornent les murs des villes.

              
Or, si la notion de « consommation » est clé dans cette série d’œuvres, l’idée n’est pas celle de définir la société péruvienne comme une société de consommation plus que de tenter de définir une identité péruvienne à travers les produits et symboles de consommation de cette société. La notion de « motif », quant à elle, fait allusion à l'utilisation de la répétition comme dispositif plastique obtenue par des procédés techniques semi-mécaniques tels que transferts d’encre au diluant, peinture au pochoir et sérigraphie ; cette dernière, à son tour, fait allusion au travail sériel de Warhol. Ainsi, nous devons voir dans les bouteilles d’Inca Kola et les boîtes de lait concentré Gloria une évocation formelle, mais « péruviannisée », des bouteilles de Coca-Cola et des boîtes de soupe Campbell de l’artiste américain. La répétition signale aussi la permanence de ces éléments au cours des années au sein de l’imaginaire populaire péruvien, suggérée par la phrase associée au portrait de Sarita Colonia, jeune provinciale issue de la première vague migratoire vers la capitale dont la capacité supposée de faire advenir des miracles en a fait un objet de dévotion populaire : « Sans date d’expiration ». Par ailleurs, cette proposition indique la condition de produit de la « sainte du peuple », produit culturel dont l’effigie et le mythe ont été construits par les nombreux migrants qui, comme elle, se sont installés à Lima dans l’espoir d’une vie meilleure. L’aura d’une image est ce qui constitue sa valeur cultuelle et lui confère une dimension rituelle et magique, nous dit Walter Benjamin dans L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique.
Parmi les éléments figuratifs représentés dans cette série, se trouvent des produits de consommation, des plats et des boissons typiques, des personnages, sans oublier l’art précolombien, argument touristique du Pérou dans l’actuel contexte de globalisation.

Rythmes de l’esclavage 

A la famille Santa Cruz

 

Cette série d’œuvres est inspirée du poème Ritmos negros del Perú (Rythmes Noirs du Pérou) de Nicomedes Santa Cruz, texte phare de la négritude péruvienne qui parle de l’esclavage colonial et des traditions culturelles qui en sont issues. Ecrit en 1957, le poème s’inscrit dans un contexte national caractérisé par la revalorisation des traditions afro-péruviennes et dans un contexte international marqué par le mouvement des droits civiques aux Etats-Unis.

 

Au niveau plastique, les œuvres ont été réalisées avec des aplats de couleurs vifs, par le biais de la sérigraphie, procédés privilégiés par le Pop’art. Les éléments visuels ont pour la plupart été dessinés à la main, simplifiés et ensuite vectorisés, ceci ayant pour but de faciliter le décryptage des images au spectateur. De plus, un certain nombre de textes ont été initialement calligraphiés à la main. L’utilisation simultanée de techniques traditionnelles avec des retouches numériques et de techniques contemporaines de reproduction en série tel que la sérigraphie photographique n’est pas fruit du hasard. Selon Walter Benjamin, « la technique de reproduction détache l’objet reproduit du domaine de la tradition » car « en multipliant les exemplaires, elle substitue à son occurrence unique son existence en série ». Dans le cas de cette série, il s’agit de trouver un équilibre entre la tradition et la modernité, entre le fait-main et l’image reproduite mécaniquement. Il s’agit aussi d’exprimer mon profond respect à l’égard des traditions qui m’a été inculquée par ma famille, investie dans la récupération des traditions folkloriques afro-péruviennes.

 

Au niveau iconique, les œuvres contiennent des extraits du poème et des représentations d’instruments de musique afro-péruvienne (cajon, quijada, cajita), de personnages connus tels que Mohammed Ali, Malcolm X ou le percussionniste péruvien Caitro Soto et de motifs répétitifs telles que chaînes. Dans son Vocabulaire d’Esthétique, le philosophe français Etienne Souriau définit le mot « motif » comme un dessin ou une forme unitaire, sculptée ou peinte, qui se répète ou se développe de façon décorative. Par ailleurs, en musique, « motif » est associé aux idées de rythme et de répétition. Un leitmotiv, par exemple, est un motif musical qui se répète le long d’une œuvre et qui fait référence à un personnage ou à une situation. Nous pouvons ainsi dire que les chaînes sont en quelque sorte le leitmotiv de cette série et font allusion à l’esclavage. Celles-ci sont brisées par endroits, suggérant ainsi que l’esclavage n’a pas été totalement dépassé car subsiste le racisme. Leur répétition suggère la permanence de la discrimination raciale dans notre société. La série met en scène les vestiges d’une communauté afro-péruvienne, minoritaire et invisibilisée, dont l’héritage culturel est pourtant visible. Un des vers du poème, repris dans la série, illustre cette idée :

« Les vieux noirs moururent, mais

Au milieu de la canne sèche

On entend leur zamacueca*

Et le chant panalivio* au loin. »

 

Bien que le thème de l’esclavage et de la musique afro-péruvienne issue des esclaves noirs soit l’axe central de la série, celui-ci ne fait qu’ouvrir le champ des thèmes possibles : le commerce triangulaire à l’origine de la déportation de milliers d’esclaves africains en Amérique, la lutte pour les droits civiques aux Etats Unis, l’apport des afro-descendants  dans la société et la lutte pour l’égalité et contre la(les) discrimination(s), etc.

 

Au niveau personnel, cette série m’a permis de m’intéresser de plus près à l’œuvre littéraire de Nicomedes Santa Cruz ou, autrement dit, de mieux connaitre à l’un des membres les plus représentatifs de ma famille à travers son œuvre.

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